Paul McCarthy est un plasticien américain réalisant des sculptures et des performances. Il a décidé de jouer la carte de l'humour et de la sexualité en réalisant des œuvres gonflables en forme de plug (sextoy) jugeant ses productions artistiques suffisamment abstraites pour pouvoir être regardées autrement et ne pas choquer les personnes qui les regardent.
C'était le cas pour son "sapin vert", sculpture géante place Vendôme à Paris qui aurait pu faire sourire mais qui a révélé une forte violence (physique envers l'artiste et matérielle car l'objet a été dégradé la semaine dernière). McCarthy a décidé de dégonfler son oeuvre et de "passer à autre chose".
Suite à cet incident, plusieurs questions peuvent se poser. L'Art est-il soumis à des règles ou peut-il s'en passer ? Une oeuvre d'art peut-elle ne pas être belle ? La beauté est-elle dans le regard ou dans l'objet regardé ? Une oeuvre d'art peut-elle être immorale ? Comment peut-on juger une oeuvre d'art ? Ou plus globalement, l'Art doit-il plaire ?
Une norme est une formule prescriptive qui indique la voie à suivre pour aboutir à un résultat. Pour être artiste, faut-il suivre un mode d'emploi ? N'y a-t-il pas plutôt de la spontanéité créatrice qui serait sans loi et donc impossible à conceptualiser ? L'inspiration, le génie ne s'apprennent pas. Ils sont là. Aristote disait qu' " il n'y a point de génie sans grain de folie". Et ce grain de folie est par définition sans norme, soumis à aucune règle. L'artiste peut en revanche, apprendre des savoirs faire. Il n'y pas de musicien sans harmonie ni d'écrivain sans règles de syntaxe car la liberté elle-même n'est pas sans règles. Mais ces normes, bien que mettant des obstacles à la création entièrement libre, ne donnent pas lieu à des lois esthétiques. Et donc l'Art est une forme de liberté avec des normes techniques mais pas plastiques.
Nous voici donc face à la notion du "beau". Est-ce subjectif (dans le regard) ou transcendant (peut-on le définir ? ) ? La beauté peut désigner un rapport d'harmonie qui se rencontre dans l'objet mais également un sentiment de plénitude, d'unité. Notre jugement du "beau" peut donc se placer d'un point de vue des normes esthétiques de la société ou de notre sentiment profond à juger ce qui nous plaît et ce qui nous déplaît selon les goûts propres à chacun. De ce fait, et parce qu'on a tous des ressentis différents, personne n'a le droit de dégrader une oeuvre sous prétexte qu'elle est à ses yeux immorale, puisqu'un autre individu peut très bien y voir autre chose, aller plus loin que la simple représentation d'un objet.
Et d'ailleurs, l'oeuvre d'art n'a pas de compte à rendre à la morale. L' Art se produit à l'écart des normes et des valeurs de l'activité humaine puisqu'il a lui-même ses propres valeurs.
Comment peut-on donc juger une oeuvre d'art ? Est-ce le "beau" ? Est-ce ce que l'artiste a ressenti ? Est-ce ce que nous ressentons en l'observant ? Dans ce cas, n'est-il pas plus judicieux d'écouter plusieurs avis et ressentis ? Si cette oeuvre nous déplaît, alors pourquoi certaines personnes l'aiment ? Que ressentent-elles en la regardant ? Que voient-elles que nous n'arrivons pas à voir ? Que comprennent-elles que nous ne comprenons pas ? Libre à nous de faire notre propre jugement mais même si la production artistique n'est pas à notre goût, nous n'avons aucun droit dessus. Dégrader une oeuvre qui nous a choqué ou déplu c'est comme frapper une personne qui n'a pas le même avis que nous. C'est inacceptable.
Le but d'une oeuvre d'art est-il de plaire ? un désir de communication ? Est-ce que l'artiste crée par plaisir ou pour faire plaisir? Le plaisir seul est trop lié à un sentiment pour expliquer l'Art. Mais il semble certain que l'Art peut également déplaire, irriter, tourmenter, révolter. Il ne s'agit plus, à travers une oeuvre, de juste éprouver du plaisir ou non, de trouver de la beauté ou de la laideur. L'Art est beaucoup plus poussé. Il doit provoquer une réaction, indéfinissable en quelques lignes car très diversifiée. Dans tous les cas, nous devons respecter l'oeuvre et son artiste quelque soit le sentiment que nous avons ressenti face à la production artistique.
Kant dans son analyse de l'Art expliquait que la chose représentée importe peu, elle n'est qu'un prétexte. Rembrandt a peint une carcasse de bœuf, la chose est laide mais la façon de la peindre est belle.
Le sujet de l'Art ne peut se développer pleinement en un simple article mais les réflexions présentées ici peuvent peut-être permettre de regarder plus loin dans une oeuvre d'art que le simple objet qu'elle représente et ainsi susciter en nous des sentiments beaucoup plus profonds. La prochaine fois que vous serez face à des productions artistiques qui vous paraissent être tout sauf de l'Art, prenez le temps de chercher plus loin, de comprendre l'artiste, de laisser une chance à votre imagination de ne plus se freiner à des conventions.
Je conclurai cet article par une citation de Bergson : " Qu'est-ce que l'artiste ? C'est un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue sans voiles. Voir avec des yeux de peintre, c'est voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons un objet, d’habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l'objet et de le distinguer pratiquement d'un autre, pour la commodité de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l'usage pratique et les commodités de la vie et s'efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste. "
C.
A voir : exposition de Paul McCarthy "Chocolate Factory" du 25 octobre 2014 au 4 janvier 2015 dans les espaces rénovés de la Monnaie de Paris (accès libre de 11h à 23h)
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